La forteresse de Guillaume Soro: ses soutiens civils et militaires et dans le milieu des affaires
- deuxidees
- 15 nov. 2017
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JEUNEAFRQUE.COM /
Côte d'Ivoire : La forteresse de Guillaume Soro
Certains l’accompagnent depuis des années. D’autres ont tenté des incursions au sein du parti présidentiel avant de faire amende honorable. Enquête sur ces hommes et ces femmes qui gravitent autour de l’ancien chef de la rébellion, Guillaume Soro et qui, ces derniers mois, ont resserré les rangs.

Ils n’auraient manqué ça pour rien au monde. Ce 22 octobre, Guillaume Soro fait son grand retour en Côte d’Ivoire après deux mois d’absence. Dans un salon privé de l’aéroport international Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan, une cinquantaine de personnes attendent le président de l’Assemblée nationale. On discute bruyamment, on se congratule. Au premier rang, formant une sorte de haie d’honneur, sa garde rapprochée, prête à accueillir celui qu’ils appellent le PAN, Bogota (son nom de code du temps des années de lutte estudiantine) ou même le leader éclairé.
Il y a là ceux qui l’accompagnent – fût-ce par intermittence – depuis des années : Sindou Meïté, Alain Lobognon, Sidiki Konaté, Moussa Touré, Affoussiata Bamba Lamine ou encore Fatoumata Traoré Diop. Même le colonel Issiaka Ouattara, dit Wattao, a tenu à marquer sa présence. Lui ne se tiendra pas au côté de Guillaume Soro lorsque celui-ci s’adressera à la presse quelques minutes après son arrivée. Mais il sera à la réunion improvisée dans la soirée au domicile de Soro, à Marcory.
Garde rapprochée
« nébuleuse » et hétéroclite
S’il règne, ce jour-là, une telle effervescence, c’est que depuis plusieurs semaines l’ancien chef de la rébellion est au centre de toutes les attentions. Les tensions avec le chef de l’État se sont accentuées, attisées par leurs entourages respectifs et renforcées par l’arrestation, à la mi-octobre, du chef de protocole de Soro, Souleymane Kamagaté Koné (alias Soul to Soul), accusé de « complot contre l’autorité de l’État ». Les liens entre les membres de la galaxie qui gravitent autour de Soro se sont du coup resserrés. Quand les temps sont durs, mieux vaut savoir sur qui l’on peut compter.
Au fil des années et des postes qu’il a occupés, Guillaume Soro, 45 ans, s’est constitué un cénacle hétéroclite. Une garde rapprochée que ses détracteurs qualifient volontiers de « nébuleuse », avec laquelle il aime échanger jusque tard dans la nuit et où les rôles ne sont pas forcément très bien répartis. Très secret, Soro aime cloisonner les différents cercles qui l’aident à concevoir sa stratégie. Il y a des politiques, des communicants, quelques hommes d’affaires et (surtout) des militaires. Il y a ceux qu’il expose et ceux qu’il protège.
La communication donne parfois un sentiment de cacophonie
Beaucoup furent des cadres de l’ancienne rébellion des Forces nouvelles. Vieux camarade de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), un temps proche de la mouvance des Jeunes Patriotes, Sidiki Konaté accompagne ainsi Soro depuis les négociations interivoiriennes de 2002. Proche des confréries musulmanes, le président de la Commission défense et sécurité de l’Assemblée nationale, devenu député de Man (Ouest) sous la bannière du Rassemblement des républicains (RDR), mobilise pour lui ses réseaux politiques et religieux.
L’ancien journaliste et directeur général de Nord-Sud Quotidien, Sindou Meïté, détermine avec Soro la ligne à adopter dans les médias. Mais l’articulation de la communication donne parfois un sentiment de cacophonie et fait régulièrement l’objet de tensions internes.
C’est le cas entre Moussa Touré, un fidèle chargé de la communication officielle à l’Assemblée nationale, et l’ancien ministre Alain Lobognon, qui a longtemps été le visage médiatique de la galaxie Soro. « Il a parfois été reproché à Moussa de parler de sujets qui ne le concernaient pas », explique un proche du PAN.
Ancienne porte-parole des FN de retour dans le giron de Soro depuis sa défaite aux dernières législatives et sa sortie du gouvernement, Affoussiata Bamba-Lamine s’est également vu confier la tâche de s’exprimer dans les médias. À noter que, comme elle, Sidiki Konaté s’était rapproché de la direction du RDR avant de revenir auprès de Soro et de faire amende honorable.
Deux autres femmes occupent une place essentielle dans le dispositif de Guillaume Soro. La première, Fatoumata Traoré Diop, fut sa conseillère politique lors de la rébellion. Ancienne directrice de la RTI et ex-membre de la commission électorale, elle échoua par deux fois, en 2011 et en 2016, à se faire élire député à Bouaké.
Un temps en froid avec Soro, elle est désormais chargée de mobiliser les sympathisants sur le terrain, tout comme Célestine Tazere Olibe. Celle-ci occupe une place un peu particulière : militante du RDR, elle fut nommée vice-présidente de l’Assemblée nationale après les élections législatives de 2011. Originaire d’Issia, un fief bété de l’ouest du pays, elle s’est rapprochée de Soro sur le tard, et c’est sans doute ce qui explique la défiance que lui manifeste encore une partie de l’entourage du PAN.
2020 : surexposition
Le cas de Tazere est symptomatique de la volonté de Guillaume Soro d’élargir sa galaxie pour donner corps au renouvellement de l’espace politique qu’il prône. Car même si la situation est trop incertaine pour que l’on se hasarde à dire s’il sera candidat en 2020, l’intéressé s’y prépare sérieusement depuis 2011.
Persuadé que les réseaux sociaux – où il est lui-même très actif – joueront un rôle déterminant, il s’est très tôt entouré d’une équipe de jeunes communicants chargés d’animer son site internet, sa web TV et ses différents comptes. Une surexposition vouée à compenser la faible couverture que lui consacre la télévision publique ivoirienne. Soucieux de son image, Soro a également lancé une ONG, La Vie, dont la direction a été confiée à son frère Simon et qui multiplie les activités caritatives.

Après avoir voulu transformer les Forces nouvelles en un mouvement politique, Soro y a renoncé – à la demande personnelle d’Alassane Ouattara, assurent ses proches – en espérant un jour prendre la tête du RDR. Le chef de l’État le lui avait-il promis, comme l’affirme également l’entourage de Soro ? Toujours est-il que ce dernier a fini par comprendre que le RDR lui échapperait. Il a donc fondé sa stratégie sur la multiplication des mouvements de soutien.
Soro s’est également entouré d’intellectuels africains aux profils et aux discours très hétéroclites
Au Réseau des Amis de la Côte d’Ivoire (Raci, dirigé par Soro Kanigui) sont venus s’ajouter l’Union des soroïstes (UDS) et, plus récemment, l’Amicale des Forces nouvelles (dirigée par un ancien de la Fesci, Félicien Sékongo). Au total, une trentaine de mouvements similaires ont été créés sur l’ensemble du territoire. « Dans une élection, ce type de mouvements est plus important que les partis politiques », justifie un proche de Soro. « Et puis le RDR s’est constitué sur la base d’une quête identitaire qui aujourd’hui n’a plus lieu d’être. »
Soro ne veut pas être isolé. Alors il accueille tous ceux qui veulent bien le rejoindre
Depuis quelques années, Soro s’est également entouré d’intellectuels africains aux profils et aux discours très hétéroclites. Un attelage qui semble manquer de cohérence et engendre quelques tensions. « Soro ne bénéficie pas d’un dispositif homogène. Il est entouré de transfuges qui viennent d’un peu partout. Tous ces mouvements cachent de grosses dissensions. Il n’a pas d’appareil. Le reste, c’est de la communication », résume un proche du Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly.
Chefferies
« Soro ne veut pas être isolé. Alors il accueille tous ceux qui veulent bien le rejoindre », précise un observateur politique ivoirien. C’est aussi ce qui dicte sa stratégie d’alliance. Conscient qu’il n’arrivera jamais seul à la magistrature suprême, il tente de séduire tous ceux qui ont géré le pays dans un passé récent, du PDCI d’Henri Konan Bédié, dont il s’est considérablement rapproché après avoir effectué un travail important auprès des chefferies baoulées, jusqu’au FPI, notamment par le biais de ses réseaux à la Fesci. « Il est toutefois conscient que tout ce qu’il pourra obtenir du FPI, c’est au mieux un pacte de non-agression », précise un de ses intimes.
S’il veut avoir une chance de remporter un jour une élection présidentielle, Guillaume Soro sait qu’il devra s’appuyer sur de solides réseaux continentaux et internationaux. Acteur majeur de ces dix années de la crise ivoirienne, deux fois Premier ministre, ministre de la Défense, Soro a noué des relations avec de nombreuses personnalités en Afrique.
Soutiens de marque
Lors de la rébellion, Olusegun Obasanjo et Abdoulaye Wade l’ont pris sous leur aile. Blaise Compaoré l’a aidé à mûrir politiquement et a mis à sa disposition plusieurs de ses lieutenants, comme feu Salif Diallo, Gilbert Diendéré, son chef d’état-major particulier, ou son ancien conseiller politique Moustapha Chafi, toujours très lié à Soro. « Compaoré, nuance un de ses proches, a surtout été le parrain d’Alassane Ouattara. »
On lui connaît également des liens avec le roi Mohammed VI, les présidents Faure Gnassingbé et Denis Sassou Nguesso ainsi qu’avec Teodorín Obiang, le fils du chef de l’État équato-guinéen. « Mais les chefs d’État sont très prudents. Lorsqu’il y a des tensions, comme c’est le cas aujourd’hui avec Alassane Ouattara, ils ne veulent pas être accusés de prendre parti et prônent l’apaisement », précise le proche cité plus haut. Autrement dit, lien ne vaudra pas forcément soutien.
Par Vincent Duhem
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Côte-d’Ivoire : Guillaume Soro perd-t-il de son influence militaire ?
C’est l’une des questions que tout le monde se pose en Côte d'Ivoire et sur laquelle experts et observateurs ne parviennent pas à s’entendre : que pèse vraiment Guillaume Soro, militairement parlant ?
« Il joue énormément de son influence, mais celle-ci est extrêmement difficile à évaluer », résume un diplomate en poste à Abidjan. Ancien chef de la rébellion, ministre de la Défense d’avril 2011 à mars 2012, le président de l’Assemblée nationale a joué un rôle prépondérant dans la sécurisation du pays durant les premières années qui ont suivi l’élection d’Alassane Ouattara. Ce fut notamment le cas en août 2012, quand plusieurs tentatives de déstabilisation frappèrent le régime.
Mais, depuis, Soro n’est plus apparu sur le devant de la scène militaire. Longtemps consulté, il a été petit à petit écarté, jusqu’à être carrément tenu à l’écart. En début d’année, il a ainsi été associé à la gestion de la mutinerie de janvier, mais pas à celle de mai. Une situation qui, si elle a pu être à un moment souhaitée par un Soro désireux de se défaire de son image de rebelle, résulte aujourd’hui de la volonté des « sécurocrates » du palais de limiter son influence dans l’appareil sécuritaire.
Soro y conserve néanmoins de nombreux soutiens. « Après la crise postélectorale, il a nommé un grand nombre de responsables, et beaucoup sont encore en poste aujourd’hui », rappelle un expert militaire français. À la primature, Soro avait sa propre garde rapprochée, le Groupement autonome pour la protection du Premier ministre (GASPM), composé d’éléments issus de l’ancienne rébellion. Lorsqu’il a quitté la tête du gouvernement, ces derniers furent intégrés au sein de la Garde républicaine, et ils lui sont demeurés fidèles.
Ancien amis,
nouveaux ennemis ?
Son lien avec les anciens commandants de zone, les fameux comzones, est plus complexe. Si la rébellion leur a donné le pouvoir et l’argent, ces dix années de guerre furent aussi le théâtre de multiples trahisons et règlements de comptes. Ibrahim Coulibaly (dit IB) ou le caporal Kassoum Bamba (surnommé Kass), tous deux assassinés, en firent la sanglante expérience.
Et quand Soro fut victime d’une tentative d’attentat, en juin 2007, son entourage porta aussitôt des regards accusateurs vers deux autres chefs rebelles : Chérif Ousmane et Hervé Touré Pélikan, dit Vetcho. Rien n’a été prouvé, mais « Vetcho n’a pas oublié », explique un de ses anciens amis. « Ses liens avec Soro se sont distendus depuis cet événement. »
Alliés de circonstances
À Abidjan, les proches de la présidence assurent que Vetcho, Chérif Ousmane ou encore Losseni Fofana ont pris leurs distances avec Guillaume Soro. Mais le seul à l’avoir fait clairement est Koné Zakaria, devenu lieutenant-colonel. Plusieurs sources sécuritaires estiment d’ailleurs que la grande majorité des anciens comzones reste fidèle à son ex-patron. « Soro a toujours plaidé pour qu’ils conservent leurs prérogatives, explique un de ses proches. Ils sont liés par une sorte de communauté de destin. Leur avenir, notamment judiciaire, dépend en grande partie de lui. »
« C’est une alliance de circonstance, nuance un familier de la rébellion. Il n’est pas question de loyauté. Les anciens comzones pensent d’abord à eux. Ils ont été mis à l’écart, mais Ouattara ne les a pas vraiment inquiétés, et ils ont surtout envie de se faire discrets. En revanche, personne ne sait ce qu’ils feraient si on leur demandait de choisir entre Soro et le président. »
Lorsque Hamed Bakayoko a été nommé au poste de ministre de la Défense, certains y ont vu une volonté de limiter le poids de Soro dans l’armée.
Ainsi d’Issiaka Ouattara, plus connu sous le nom de Wattao : il a beau être réputé proche du président de l’Assemblée, c’est Alassane Ouattara qu’il voit quotidiennement de par sa fonction de commandant de la Garde républicaine.
Confort
En juillet, lorsque Hamed Bakayoko a été nommé au poste de ministre de la Défense, certains y ont vu une volonté de limiter le poids de Soro dans l’armée. Courant octobre, le nombre d’hommes affectés à sa sécurité a été drastiquement réduit, passant de 75 à une vingtaine. S’il s’affiche volontiers avec les anciens comzones, Bakayoko songerait à en éloigner certains, notamment en les envoyant à l’étranger comme attachés militaires.
« C’est ce que prévoyaient déjà les accords de Ouaga en 2007, rappelle le diplomate en poste à Abidjan. Mais n’est-ce pas trop tard ? Aujourd’hui, ils sont tellement riches. Quel intérêt auraient-ils à quitter ce confort ? » Et un ancien comzone de conclure : « Qu’ils nous écartent. On verra qui sera là pour les défendre à la prochaine tentative de déstabilisation. »
Par Baudelaire Mieu et Vincent Duhem
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Côte-d’Ivoire : quel est le poids de Guillaume Soro dans le milieu des affaires ?
Si Guillaume Soro s'est forgé de nombreux soutiens fidèles dans le monde économique lorsqu'il était au pouvoir, son capital sympathie n'est aujourd'hui pas plus haut.
Guillaume Soro est-il bien introduit dans le monde des affaires ? Il a permis à plusieurs entreprises ou hommes d’affaires marocains et burkinabè de s’implanter en Côte d’Ivoire lorsqu’il était Premier ministre (ce fut le cas pour le cimentier Cimaf, dirigé par le Marocain Anas Sefrioui). Il a aussi été proche d’Alizéta Ouédraogo, belle-mère de François Compaoré et ex-patronne de la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina.
Mais la donne a logiquement changé depuis qu’il a quitté la tête du gouvernement. Et, dans le climat actuel, beaucoup préfèrent ne pas afficher leurs sympathies… Soro conserve toutefois dans son entourage des personnalités issues des milieux économiques. Son ami Malick Tohé – qui lui a appris à danser le ndombolo – dirige la société de négoce de cacao Sonemat et préside le GNI, le Groupement des négociants ivoiriens.
Si Moussa Dosso, qui dirigeait la « Centrale », la structure financière des FN, est désormais administrateur de la BAD et a pris ses distances, son adjoint du temps de la rébellion, Issiaka Fofana, lui est demeuré fidèle. Une constance qu’il a payée au prix fort : en juillet, il a été limogé de son poste de DG de la Lonaci, la loterie nationale.
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